
C’est un récit crispant, qui n’épargne personne. À Montrouge (Hauts-de-Seine), au sud de Paris, la crèche privée Bambou, du réseau La Maison Bleue, a été le théâtre de violences physiques et verbales, perpétrées notamment sur les enfants de la « section des grands » (âgés de 2 à 3 ans), courant 2024. Mais les racines du mal semblent plus profondes. Directrice en burn-out, personnel en sous-effectif, parents en grande souffrance… Presque toutes les composantes de la chaîne semblent avoir été frappées de plein fouet par ce dossier « tentaculaire ».
Dans un article paru début février 2025 sur le site de Libération, des familles et des employés de la crèches témoignent. Claques, violences verbales : les coulisses de l’établissement privé font froid dans le dos. Principale accusée, Naomi F. a été licenciée le 27 décembre 2024.
Dans son sillage, trois autres professionnelles ont quitté la crèche. Dont l’une à cause des tensions liées à la dénonciation des agissement de Naomi F. Au moins deux plaintes et une main courante ont, aussi, été déposées. Et une « enquête de police est en cours », rappelle d’ores et déjà à actu Paris le groupe La Maison Bleue. Mais le contrat de délégation de service public de la crèche n’a pas été rompu et la commission d’attribution des places dans la structure se profile, en mai.
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Le difficile retour en arrière des parents
Début mars 2025, une mère nous raconte, des trémolos dans la voix : « Mon enfant y était depuis 2019. Il a fait des crises à 2, 3 ans, il lui arrivait d’avoir un comportement inhabituel. Il est aussi parfois revenu avec un bout de vêtement déchiré. Il me disait qu’il ne voulait plus y retourner. Maintenant, j’imagine le pire… Mais je ne saurai jamais réellement ce qu’il s’est passé. » Elle inspire, puis ajoute…
Aujourd’hui, presque tous [les enfants de la sections des grands] sont chez le psy.
En remontant le fil de ses souvenirs, la Montrougienne s’arrête à 2020. « Il y avait eu un nouveau changement de directrice et, forcément, en tant que parent, on se demande ce qu’il se passe, ce qui entraîne ce turnover chronique. À côté de ça, notre enfant revenait parfois à la maison avec les fesses rouges, il survenait des ‘accidents bêtes’ sur certains enfants, sans que l’on nous prévienne : l’un d’eux tombait, ou se luxait l’épaule et sa mère l’apprenait qu’une fois à l’hôpital [un incident consigné, mais qui ne constituait pas, selon La Maison Bleue, une maltraitance]. » Des premières alertes qui, avec le temps, ajoute la culpabilité au flot d’émotions déjà chaotique.
Des fautifs à tous les étages
Rétrospectivement, un message écrit sur WhatsApp par une ancienne responsable des ressources humaines du réseau La Maison Bleue dans les Hauts-de-Seine, consulté par actu Paris, offre une lecture glaçante de la situation.
J’intervenais sur tous les dossiers en la matière dans le 92 et une partie du 78 (…) J’ai pratiqué plus de 15 licenciements par an : 90 % [d’entre eux étaient] des cas de négligence, de non-respect des règles d’hygiène ou de sécurité et de maltraitance. Je suis très au fait des pratiques, des dérives et des fautifs. J’ai essayé de faire bouger les choses… En vain.
Elle dépeint aussi les grandes lignes d’un système défaillant : « Allez voir la PMI [Protection maternelle et infantile] et ses contrôles programmés qui ne permettent pas d’identifier les problématiques réelles et de mettre la pression qu’il faudrait sur ces machines à profit. Allez voir le ministère de la Santé et son décret autorisant les non-diplômés à travailler avec les enfants. Allez voir les crèches privées qui, à coups d’économie de masse salariale, positionnent sciemment les enfants en sous-effectif d’encadrement, avec toutes les situations graves que cela engendre. »
Lors d’une rencontre avec les parents et des élus d’opposition survenue le 20 février 2025, deux anciennes employées de la structure montrougienne illustrent les propos de l’ex-RH du groupe, en évoquant « des repas insuffisants, des changes de couche limités à trois par jour et des mises à l’isolement d’enfants », entre autres.
Candice Thomassin, responsable communication à La Maison Bleue, implore, elle, de « ne pas faire de raccourcis ». Elle précise : « Nous avons un process très normé et aucune tolérance avec les professionnels maltraitants. Différents dispositifs ont été mis en place pour que les professionnels puissent dénoncer la moindre difficulté rencontrée, sans avoir à passer par leur supérieur (…) La professionnelle violente a été licenciée, nous faisons depuis un point hebdomadaire avec la mairie, nous avons fait appel à une psychologue, la situation s’apaise. »
Et de concéder : « Comme l’ensemble du secteur, nous avons un énorme problème de recrutement, notamment en CDI. Nous recherchons actuellement des profils pour la section des grands, que nous souhaitons rouvrir pour repartir sur des bases saines… »
L’enquête interne, lancé après le signalement de la PMI, n’aurait cependant, selon elle, remonté aucune information concernant la limitation du nombre de changes de couche, ou le rationnement de la nourriture des enfants. Le départ de Naomi F. serait le point final du dossier.
La parole se libère
Pourtant, les banderilles continuent de pleuvoir sur le groupe. Et la crèche Bambou ne serait, en réalité, que l’arbre qui cache la forêt. Dans un mail envoyé à un parent, daté du 21 février 2025 et transmis à actu Paris, le Syndicat national des professionnel·le·s de la petite enfance (SNPPE), s’alarme : « Nous recevons actuellement un certain nombre de témoignages, appels au secours, de la part de professionnel.les travaillant pour La Maison Bleue. » Quelques jours plus tard, un communiqué au vitriol est publié sur le réseau Bluesky, intitulé « Groupe Maison Bleue : des dysfonctionnements graves signalés ».
En éclatant au grand jour, l’affaire de l’établissement des Hauts-de-Seine a replacé sur le devant de la scène le douloureux sujet des crèches privées, moins de deux ans après la sortie de plusieurs rapports institutionnels, dont celui de l’Inspection générale des affaires sociales (l’Igas), qui alertait sur la « maltraitance institutionnelle » du secteur de la petite enfance. Une problématique largement dénoncée, aussi, par l’enquête de Victor Castanet, Les Ogres (2024, Flammarion). Dans ce livre, l’homme qui a révélé le scandale Orpea décryptait « la stratégie low-cost de plusieurs leaders des crèches privées et la responsabilité de mairies et de ministères ».
La ville de Montrouge ne ferait pas exception. En 2021, l’affaire de la crèche Bambou ne s’est pas encore ébruitée dans les grandes largeurs. Mais des parents décidaient, déjà, d’écrire à la mairie (UDI) de Montrouge pour lui faire part de négligences observées. Celle-ci se serait alors défaussée.
« Ils étaient au courant », martèle quatre ans plus tard une mère auprès d’actu Paris. « On a jamais laissé un courrier rester lettre morte, se défend pour sa part Claude Favra, première adjointe au maire, chargée de la famille, la parentalité, la petite enfance et le bien vieillir. Mais, par expérience, on sait qu’il faut rester vigilant. On a 13 structures dans la ville. Parfois des parents stressaient… Nous n’étions pas à l’intérieur [de la crèche]. »
Quel avenir pour la crèche Bambou ?
Conseillère municipale d’opposition (LFI) à la mairie, Annabelle Huet enfonce le clou. « La ville a demandée la tenue d’un comité de suivi du délégataire à partir de septembre 2023, notamment à cause du fort taux de turnover, ainsi qu’un taux d’encadrement et de diplômés non conformes à la réglementation [des éléments issus du rapport annuel 2023 de la crèche, consulté par actu Paris]. Cela prouve, a minima, qu’ils savaient qu’il y avait un problème. Elle a également déposé des plaintes, le 31 mars 2023 et le 1 août 2023. »
Les raisons invoquées de la première plainte dans le rapport ? Le « mécontentement des parents après un incident : absence de direction, turnover, manque d’investissement des professionnels, manque d’activités ». Un courrier adressé au maire adjoint est aussi mentionné.
Claude Favra reprend : « Cette crèche est la seule en délégation de service public de la ville et c’est ainsi depuis 2006. De façon normale, nous avons un comité de suivi, dans le cadre duquel nous avons, par exemple, réalisé des visites, sans en avertir la direction (…) Dans notre politique, l’enfant est au centre de tout. C’est pourquoi, quand l’information nous a été transmise [concernant les agissements de Naomi F.], nous avons transféré les enfants de la section des grands vers les 7 jardins d’enfants de la ville. Pour rappel, 19 des 24 enfants de la concernés ont été replacés, à partir du 3 février 2025. »
Annabelle Huet s’agace : « À chaque conseil municipal, la majorité a la même rengaine : si la crèche ne respectait pas la loi, elle n’aurait pas le droit d’ouvrir, elle n’aurait pas l’agrément. » Un argument fragile au regard des « contrôles programmés » de la PMI. L’élue poursuit : « Fin mars 2025, nous allons déposer un vœu pour demander que la mairie reçoive les parents, convoque le groupe La Maison Bleue afin qu’il explique ce qu’il s’est passé et ce qui a été mis en place depuis, rompe le contrat de délégation de service public, n’attribue pas de nouvelles places dans cette crèche et fasse un audit de toutes les crèches de la ville. »
Et de conclure, amère : « Il est pratiquement sûr que ce vœu ne sera pas adopté. De façon générale, le manque de réaction de la majorité est incompréhensible. » Notamment à un an des élections municipales.
La première adjointe au maire de Montrouge tempère : « Il y a une loi. Nous sommes actuellement en période de consultation, en remise d’appel d’offres… »
Du côté des parents, en plus des poursuites judiciaires, des actions collectives devraient être organisées pour visibiliser leur combat. L’un d’eux, usé par les événements des derniers mois, se lâche : « C’est la maison du diable. Nous sommes traumatisés. Si on en avait les moyens, nous quitterions la ville. »
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